Et aller bien, tout simplement…

Je me suis levée ce matin-là avec une flemme pas possible. L’envie de ne rien faire, de me rouler sous la couette et d’attendre que le soleil revienne. La déprime saisonnière est là, comme tous les ans… Dès que le soleil se cache un peu trop longtemps je déprime un peu. Enfin non, j’ai réalisé qu’il ne s’agit pas vraiment de déprime mais d’un manque de vitalité… J’aimerais simplement être un ours, me cacher dans ma tanière et dormir jusqu’au printemps. Je ne suis pas taciturne, je n’ai pas envie de mourir, ni de pleurer, j’ai juste envie de passer les mois d’hiver au chaud avec un bon chocolat et un bouquin pour me tenir compagnie.
J’ai réalisé que j’étais devenue comme tout le monde, avec cette petite baisse de moral en hiver, mais rien d’insurmontable.
J’ai alors pris en pleine figure que, ça y est, je suis guérie.

Sans titre 11

J’ai passé les dernières années voire les dernières décennies à remonter la pente d’un vécu dont je ne suis pas responsable.
Quand j’avais 20 ans, je souffrais tellement, j’avais tellement mal que je pensais que cela faisait partie de moi. J’ai su me battre, dans l’espoir d’aller mieux et par besoin de justice. Je pensais que voir mon agresseur condamné serait un grand soulagement et que j’irai instantanément bien… Mais le verdict est tombé il y a 5 ans, il a été condamné, et je n’ai ressenti que de la rancoeur. Je n’allais pas mieux et sa condamnation était dérisoire au vu des efforts que j’avais encore à faire pour aller mieux.
Il m’arrive de relire des articles écrits il y a 3 ou 4 ans, j’allais mieux, mais j’allais toujours un peu mal. La mélancolie ne s’en allait jamais vraiment. La culpabilité, la haine de moi-même, je portais un regard dur et désespéré sur ma personne et je continuais à souffrir.

Longtemps j’ai cru que les cauchemars ne me quitteraient jamais, que jamais je ne pourrai marcher dans la rue sans avoir peur des passants, que jamais je ne pourrai entendre un bruit violent sans sursauter et rester en état d’alerte pendant une demi-heure. Je pensais que j’étais marquée au fer rouge à jamais, que la seule chose que je pouvais espérer était d’aller mieux, un peu mieux, mais pas d’aller tout simplement BIEN.

Et pourtant, ce matin-là, je me suis levée et la seule chose qui m’a rendu morose c’est le froid et la pluie… Comme l’immense majorité des gens.
J’ai pu constater avec étonnement et sérénité que désormais, je vais bien. Je ne fais pas plus de cauchemar qu’une personne lambda. Je n’ai plus peur des gens dehors. Je ne suis plus persuadée qu’il va m’arriver quelque chose d’atroce quand un événement imprévu survient. Je n’ai plus peur. Je ne me déteste plus non plus, je considère que je mérite ce que j’ai, je ne pense plus que je suis une moins que rien, je sais que je suis quelqu’un qui a dû se battre souvent et beaucoup, qui s’est construite sur des bases pourries, qui a dû tout balayer et tout reconstruire en prenant beaucoup beaucoup de temps… Et aujourd’hui tout cela paye.

Je regarde l’avenir avec bienveillance et le passé avec sérénité. J’ai vécu des choses abominables et j’ai survécu. Le passé est désormais derrière moi, il ne me fait plus souffrir. Je peux repenser à mon enfance sans systématiquement voir les abus dont j’ai été victime. Leur évocation m’est douloureuse évidemment, mais ce n’est plus une souffrance vive et violente. Cela fait partie de mes souvenirs désagréables, mais ce n’est plus insurmontable. J’y pense, je referme le tiroir et je continue ma vie. Ce n’est plus obsédant comme avant. J’arrive à gérer les images qui surviennent, à les ranger et à penser à autre chose.

Je pensais que je n’arriverai pas à vivre sans combat à mener. J’ai passé les 3/4 de ma vie à me battre, c’est vrai… Je me suis souvent caractérisée par ma combativité, ce que je trouvais plus facile à porter que le statut de victime.
Aujourd’hui, j’accepte qu’être une victime fait partie de mon histoire. J’ai été une victime, c’est un fait, cela ne me définit pas pour autant. Et j’ai réussi à changer mon « énergie combative » en énergie au profit de challenge et défis.
Je n’ai plus besoin de me battre. Je m’épanouis très bien dans un environnement serein, apaisé, calme, heureux… On s’y habitue vite!

Si on m’avait dit il y a quinze ans que je serais aussi « normale », que je ne souffrirai plus, que j’irai bien, je ne suis pas sûre que j’y aurais cru… Cela m’aurait donné beaucoup d’espoir, mais j’aurais eu un mal fou à envisager une telle possibilité, moi qui étais une écorchée vive, régie par ses émotions négatives et par une haine insoutenable d’elle-même.
Pourtant, j’y suis parvenue. Je suis arrivée de l’autre côté de ce très long tunnel. Cela n’a pas été facile, j’ai dû prendre des décisions très douloureuses et culpabilisantes (porter plainte, mener le procès à son terme, rompre avec certains membres de ma famille, notamment ma mère), j’ai suivi pendant très longtemps une psychothérapie pour tenir debout et avancer sans m’écrouler, j’ai dû faire de gros efforts pour faire taire les milliers de petites voix qui me disaient que j’étais nulle, que je ne méritais pas de vivre, que je ne méritais pas de faire valoir mes droits, etc, etc…
J’ai dû replacer toutes ces paroles dans la bouche de ceux qui ont essayé de me détruire et me convaincre que je ne suis pas moins méritante qu’une autre, que j’ai tout aussi le droit d’être heureuse que n’importe qui…

Et aujourd’hui, enfin, je vais bien. Cela ne fait pas très longtemps, quelques mois seulement. Mais je me sens totalement libérée. Bien sûr je garde des séquelles, mais j’ai appris à vivre avec et à ne plus les voir comme un fardeau.
Je ne suis plus en colère, je n’ai plus de rancoeur, je n’en veux plus à la Terre entière.
Ca ne change pas radicalement qui je suis, j’ai toujours un caractère de cochon, je reste quelqu’un d’assez sanguin et impulsif, j’aime toujours autant l’ordre et je suis toujours à fleur de peau… Mais je ne le vis plus comme une malédiction.

Il m’a fallu un sacré paquet d’années pour en arriver là. Cela n’a pas été de tout repos, mais j’y suis arrivée. Je ne suis plus déprimée, plus mélancolique, je ne souffre plus, je suis heureuse, j’ai foi en l’avenir et je prends confiance en moi.
Je voulais témoigner parce que je me suis souvent épanchée sur ce blog et je sais que j’ai ainsi aidé beaucoup de lecteurs.
Je voudrais aujourd’hui dire à tous ceux qui se sont reconnus dans mes récits précédents et qui souffrent encore qu’il y a bel et bien une vie après l’inceste et les abus sexuels. Un jour, après un combat très douloureux, à force de décisions difficiles mais indispensables, on va bien. Un jour on devient comme tout le monde, avec les mêmes petits tracas du quotidien, sans cette chape de plomb à supporter en plus. Je ne dirais pas « si j’y suis arrivée, vous le pouvez aussi » parce que je sais qu’il y a de nombreux paramètres à prendre en compte… J’y suis arrivée et cela veut dire que c’est possible. Souffrir n’est pas une fatalité.

Un jour je me suis réveillée, je me suis plains de la pluie et du froid et j’allais tout simplement bien.

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