Les faire passer avant soi sans se sacrifier

Quand j’ai eu Mouflette, les conditions de vie étaient assez chaotiques… Pas matériellement (bien au contraire, je vivais plutôt dans l’opulence que l’inverse, avec un mari subvenant aux besoins du foyer) mais affectivement.
Alors que j’avais passé ma grossesse à me dire que je devais me sacrifier pour qu’elle ait un père (si j’aimais encore ce dernier au moment de la conception, la grossesse l’a rendu si terrible que j’ai basculé doucement mais sûrement vers la détestation…), j’ai été frappée d’une révélation lorsqu’on me l’a posée dans les bras.
Ce petit bébé avait bien plus besoin d’un parent aimant que de deux parents en conflit, malheureux, détruits et destructeurs… Et j’ai presque immédiatement pris la décision de quitter cet homme, le confort qu’il nous offrait et la sécurité matérielle, pour voler vers une vie plus fruste et néanmoins protectrice.

J’ai ensuite pris toutes mes décisions avec pour motivation l’avenir de ma fille. Pourtant, chacun de mes choix était très égoïste et me mettait au coeur de ma propre vie.
Reprendre mes études, notamment, est devenu une priorité, et mon excuse pour m’octroyer ce droit a été ma fille, imaginer son avenir avec une mère diplômée, imaginer ses chances multipliées pour sa vie future, si moi-même je prenais en main ma propre vie.
C’était une motivation noble, en soi. Mais je crois en réalité que ma profonde mésestime de moi-même m’a imposé de trouver des palliatifs valables pour me donner le droit de faire ce qui me plaisait. J’ai eu le sentiment de placer ma fille tout en haut de mes priorités, et c’était en partie vrai, mais je ne supportais pas l’idée que mes actes étaient également motivés par mon propre bien-être, mon accomplissement personnel.

J’ai heureusement évolué et j’ai commencé à m’aimer suffisamment pour assumer mes choix et mon droit à vivre ma propre vie même en étant mère. Surtout en étant mère, oserais-je dire.
Nous vivons dans une culture de la mère sacrificielle, celle qui doit tout donner à ses enfants, les faire passer en priorité coûte que coûte, s’oublier à leur profit, se ronger les sangs à la moindre séparation.
Ce modèle me semble vain, injuste en plus d’être profondément éculé. Aujourd’hui, qui veut encore se sacrifier pour ses enfants? Personne j’espère, parce que ça ne me semble pas souhaitable, tant pour le parent que pour l’enfant…

J’ai grandi en tant que mère en me promettant de ne jamais faire peser sur mes enfants mes propres renoncements. Vous savez? Contraindre son enfant à faire de la danse parce qu’on est soi-même une danseuse contrariée… Obliger à la musique alors qu’on rêvait d’être musicienne. Obliger à la réussite scolaire pour briller au travers de ses enfants. Orienter vers tel ou tel métier, sans prendre en considération les souhaits et la vocation propre de l’enfant. Ne pas faire de ma fille une projection de ce que je n’ai pas pu être.
C’est pour cette raison que, lorsqu’elle a voulu faire de la musique, je me suis inscrite également à des cours au conservatoire. Parce que la musique a toujours eu une place centrale dans ma vie, que j’ai toujours été frustrée de ne pas savoir jouer d’un instrument, et je ne voulais pas prendre le risque de surinvestir la scolarité musicale de mon enfant. Au final, j’ai abandonné au bout de deux ans, faute de temps et de motivation, mais au moins, j’ai pu me dire « si je n’ai pas donné suite, c’est parce que ma motivation n’était pas suffisante » et j’ai lâché la grappe de ma fille qui a ainsi pu avoir son propre parcours, avec ses réussites et ses échecs, sans avoir sur le dos le poids de mes attentes démesurées.

Je suis aujourd’hui convaincue que pour laisser nos enfants s’accomplir, pour savoir les accompagner vers ce qu’ils sont et non ce qu’on aimerait qu’ils soient, on doit prendre la peine de s’accomplir soi-même, ou au moins de faire nos propres choix, nos propres renoncements. Admettre que si nous ne sommes pas grand chirurgien ou chanteur vedette, c’est parce que nous n’avions pas les capacités, pas l’envie suffisante, pas assez de cran, pas assez de temps, peu importe… En tous les cas, nos enfants n’y sont pour rien, et nos rêves ne sont pas les leurs.

Sans titre 24

Mon titre est peut-être trompeur, parce que je ne sais pas si faire passer ses enfants avant soi est une bonne chose. Je crois que l’on peut faire des choix très difficiles en pensant à nos enfants, qui impactent considérablement notre vie, sans pour autant se « faire passer après ». Mais je n’ai pas envie de rentrer dans ce débat là pour le moment.

Mon idée était surtout de dire que le sacrifice ne sert à rien sinon à entretenir des rancoeurs. Le sacrifice du parent ou de l’enfant, d’ailleurs… Etant un pur produit de la seconde catégorie, je peux affirmer que la rancœur nourrie risque de mettre du temps à s’effacer…
Je crois que nos enfants s’épanouissent mieux s’ils ont des parents épanouis. Peu importe que maman s’absente 3 jours par semaine, ou que papa et maman se partagent une garde alternée, si elles/ils reviennent avec le sourire, les enfants sont à même de gérer le manque. Le message que ça leur renvoie c’est « papa/maman est heureux/se loin de moi, j’ai aussi le droit d’être heureux loin de papa/maman » d’autant plus si les relations tissées en présence de l’enfant sont riches de bons moments.
Tout comme un parent qui fait ses propres choix pour sa propre vie renvoie à l’enfant l’idée qu’à n’importe quel moment de sa vie, l’enfant pourra faire ce qu’il en veut, à peu près.
Je crois qu’aucun enfant ne s’est jamais senti à l’aise en entendant l’un de ses parents dire à quel point il s’est sacrifié pour lui, à quel point il n’est pas devenu ceci ou cela à cause de sa venue au monde… C’est aussi faire peser sur l’enfant une responsabilité injuste et beaucoup trop lourde pour lui (d’autant que dans une grande majorité des cas, c’est faux et le parent devrait surtout admettre qu’il a fait un choix, ou qu’il est victime d’un contexte, mais certainement pas de son enfant…)

Bon, c’est un peu confus, mon propos… C’est con parce que ça sortait très bien dans ma tête! ^^
Je crois que j’enfonce des portes ouvertes aussi (ma spécialité), mais je déconstruits petit à petit les clichés gravés sur marbre dans ma petite cervelle. J’ai le droit d’exister. Nous, surtout les femmes (je crois que les hommes se posent beaucoup moins de questions), avons le droit d’exister indépendamment de nos enfants sans pour autant ressentir la moindre culpabilité. Ca ne fait de nous ni des monstres ni des mauvaises mères. Cela fait de nous des exemples pour nos filles, qui, si elles nous voient épanouies et heureuses autrement que dans notre rôle de mère, sauront qu’elles peuvent l’être également. Des exemples pour nos garçons aussi, pour qui il sera naturelle qu’une maman s’épanouisse autant qu’un papa et inversement. Quelle que soit notre situation d’ailleurs, parent isolé, chef d’entreprise, parent au foyer, qu’importe! Alors évidemment, je n’enjoins personne à culpabiliser de culpabiliser! On fait ce que l’on peut, et je serais très mal placée pour donner des leçons à ce sujet, moi qui suis une sorte de culpabilité ambulante… Mais je sais que cette culpabilité n’est bonne ni pour moi ni pour mes enfants, alors j’y travaille.

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8 Discussions on
“Les faire passer avant soi sans se sacrifier”
  • L’ambivalence de la maternité… ce questionnement est constant !
    Mais au sortir d’une dépression post partum après la naissance de mon aînée, j’ai réalisé qu’elle serait bien plus épanouie à jouer à la creche, que portée toute la journée les bras d’une mère en larmes et épuisée… J’ai repris le travail, j’ai couru partout, j’ai culpabilisé évidemment (comme à chaque instant), mais au moins, mon cerveau s’est remis en routé j’ai profité de faire du vélo seule le midi, marcher les bras ballants. Et cela a été salvateur pour nous 2 !
    Tout cela pour dire que je te rejoins complètement : donner le meilleur à ses enfants, c’est leur offrir un parent heureux, un exemple sans regrets, ou du moins si regrets il y a, qu’ils soient assumés, afin de ne pas déteindre sur ces petits etres qui n’ont rien demnadé, et surtout pas de naître.
    Je trouve cet exemple d’inscription en école de musique vraiment inspirant. À garder dans le coin de ma tête .
    Merci encore une fois pour ce beau témoignage.

  • Je suis moi-même une culpabilité ambulante et je m’épuise parfois moi-même ! Quand aux sacrifices que l’on fait ou non, quand aux choix que la vie peut nous obliger à prendre, il est effectivement important de ne pas faire endosser la responsabilité à nos Enfants (même si parfois, cela peut paraître être tellement facile d’y ceder !)… merci pour ce nouvel article qui mène à réfléchir a bien des aspects de notre vie !

    Virginie

  • L’éternelle équation à multiples inconnues… et pourtant, il est tellement important de prendre soin de soi… Moi j’admire beaucoup ton indépendance, j’en avais beaucoup (trop ?) quand je travaillais et je n’en prend plus du tout maintenant… il va falloir trouver un juste milieu ici aussi !

    • Indépendance, c’est vite dit! ^^ Mais j’ai un caractère très solitaire, la vie de famille me pèse parfois, alors j’essaye de trouver un équilibre qui me permette de tenir la distance! 🙂

  • Très bel article, comme souvent. Tellement vrai et tellement difficile ! J’ai bien du mal à faire ces choix moi qui ai si longtemps attendu mes enfants et qui ai tant idéalisé la condition de maman

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